vendredi 7 septembre 2007

Un jeu d'enfant

Ian Wambrechtein

Si l’on pouvait remonter dans l’enfance d’André Tallepare, sans doute y trouverait-on, comme dans toute enfance, des insectes épinglés vifs puis écartelés, des limaces écrasées uniquement pour le plaisir, des vers de terre tronçonnés en deux, puis en quatre, pour voir si c’est vrai qu’ils se refont — mais qu’est-ce que cela prouverait ? Le vrai est que personne n’eût songé à voir un dangereux assassin dans ce petit homme (moins d’un mètre soixante) on ne peut plus discret, bleu (les yeux) et jaune (les cheveux), et silencieux.
Après des études correctes et médiocres et l’obtention sans gloire d’un bac B, sa mère, qui y faisait le ménage tous les matins, l’avait fait entrer à la banque, où l’on n’avait rien trouvé de mieux que de le mettre au guichet. Cependant, quoique rien dans son visage blanc et immobile ne le manifestât, et qu’il ne répondît jamais aux salutations de la clientèle, même des jolies femmes, il aimait assez cela, cette succession ininterrompue de bustes derrière la tablette en bois blanc, ne s’en lassait pas.
C’est encore la mère qui, le jour de ses trente ans, lui avait suggéré : « Et pourquoi que tu te marierais pas ? »

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